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Asphalte 94

45ème édition de Marvejols Mende

Sur le point de rédiger mon 3ème compte-rendu du Marvejols-Mende, je prends conscience qu'il ne me sera pas facile de "changer de disque" par rapport aux années précédentes : le Goudard, Chabrits, Mende, la Lozère qui est belle, la pente qui est raide, l'auteur qui est un peu plus nul que l'an passé, mais sans doute un peu moins mauvais que l'an prochain. Tout cela n'a en fin de compte qu'un intérêt assez relatif.

Je vais donc essayer d'innover un peu en procédant à une brève mise en perspective qui, je l'espère, donnera aux Asphaltiens envie de venir courir avec moi l'édition 2018, pour renouer avec la grande époque où le club envoyait une vingtaine de participants.

Marvejols comme Mende sont deux cités pittoresques du Gévaudan, mais leur histoire a été souvent tragique. L'une comme l'autre ont été dévastées lors des guerres de religion, triste époque où le fanatisme et l'obscurantisme tenaient lieu de ligne politique. C'est d'abord Mende qui subit les assauts furieux des "parpaillots" et fut saccagée par les hordes du redouté capitaine Merle. Marvejols avait pour sa part embrassé la religion réformée, ce qui n'était pas une bonne idée : les ligueurs du duc de Joyeuse, non moins fanatiques que leurs adversaires, mirent le siège devant la ville, finissant par la détruire et par massacrer la quasi-totalité de sa population. Après qu'il eût compris que Paris et le royaume "valaient bien une messe", le bon roi Henri IV fit verser des subsides pour reconstruire Marvejols, mais la religion protestante n'y reprit jamais pied.

Notre bon roi Henry

Notre bon roi Henry

Au XVIIIème siècle, le Gévaudan subit une terrible épidémie de peste juste avant que n'apparaisse la redoutable bête dont le nom reste à jamais attaché à la province. Entre 1764 et 1767, cette créature monstrueuse tua une centaine de malheureux selon les registres paroissiaux. Homme déguisé en bête, animal de cirque échappé, gros loup ayant pris goût à la chair humaine, nul aujourd'hui encore ne peut affirmer avec certitude quelle était la nature de ce fléau. Outre la peur de la bête du Gévaudan, les paysans redoutaient les dragons envoyés par le roi pour les en débarrasser : plutôt que de chasser ou tuer la bête ces soudards préféraient "vivre sur la bête" aux dépens des pauvres gens qui avaient l'obligation de les héberger. Au terme de l'ouvrage encyclopédique de plus de 1000 pages qu'il consacre à ce fléau, le brave abbé Pourcher arrive à une conclusion certes implacable mais encore loin de faire l'unanimité : la bête du Gévaudan était une créature divine envoyée par le Tout-Puissant pour punir les habitants du pays de leurs turpitudes. En ce cas, les manants devaient avoir beaucoup plus de choses à se reprocher que les nobles et les clercs, pourtant mieux pourvus en chair grasse et abondante, mais ayant réussi à échapper aux crocs de la bête.

Au XXème siècle, la seconde guerre mondiale donne un destin hors du commun à deux cousins de vieille famille aristocratique marvejolaise, tous deux descendants de La Fayette, personnages hauts en couleurs mais controversés, qui empruntèrent des chemins bien différents. René et Gilbert Pineton de Chambrun étaient doublement cousins : leurs pères étaient frères et leurs mères étaient cousines germaines, toutes deux américaines de Cincinatti et apparentées à la famille Roosevelt.

 

Avocat affairé et affairiste, répondant au doux surnom de "Bunny", alias "petit lapin", René de Chambrun était inscrit au barreau de New-York et de Paris lorsqu'il épousa en 1935 Josée Laval, fille unique de Pierre Laval, homme politique parvenu, de peu d'honneur mais de grande fortune, passé du parti socialiste à la droite sans états d'âme. De surcroît, "Bunny" était au mieux avec le maréchal Pétain qui l'avait connu enfant et lui vouait une affection quasi paternelle. Dès son accession au pouvoir, lors du désastre de juin 1940, Pétain envoie "Bunny" aux Etats-Unis où il est reçu par son lointain cousin Roosevelt et jette les bases des relations cordiales que l'administration américaine entretiendra avec le régime de Vichy pendant près de 2 ans. Dépourvu de rôle politique officiel, "Bunny" ne cesse pourtant de grenouiller pendant les années noires, rabibochant Pétain et Laval qu'opposaient de fréquentes querelles et fréquentant ouvertement l'occupant nazi ; le couple René et Josée de Chambrun devient rapidement incontournable dans le tout-Paris de la collaboration mondaine. Pendant que les parisiens crèvent de faim suite aux réquisitions opérées par l'occupant, "Bunny" et son épouse paradent dans les dîners en ville, sur les champs de course et dans toutes les sauteries organisés par les nazis. Tout cela aurait pu fort mal se terminer, mais "Bunny" parviendra pourtant à passer entre les gouttes de l'épuration, protégé par son passeport américain et son cousinage avec Roosevelt ; son cabinet continuera à prospérer jusqu'à ce qu'il prenne la direction des célèbres cristalleries de Baccarat. Ne reniant rien de son passé, il défendra inlassablement l'indéfendable, œuvrant sans succès pendant plus de 50 ans à justifier l'action politique de son sinistre beau-père. Tout aussi vainement, il milite pour le transfert au Panthéon se son ancêtre La Fayette. Il décède sans postérité en 2002 à l'âge de 95 ans, rejoignant Laval au cimetière du Montparnasse et léguant son immense fortune à la fondation qui porte son nom et celui de son épouse. Etrangement reconnue d'utilité publique, mais ne risquant pas de faire appel aux dons du public, la fondation René et Josée de Chambrun gère et entretient les nombreuses propriétés que possédait le couple, en particulier le château de Chateldon toujours hanté par le fantôme de Laval..... qui ne se visite pas ! En 2007, elle acquiert pour la modeste somme de 5,3 millions de $ une médaille en or passée successivement entre les mains de Georges Washington et La Fayette.

Reçu 3ème au concours des affaires étrangères,  Gilbert de Chambrun est un jeune diplomate plein d'avenir lorsque la guerre éclate. Après l'armistice de juin 1940, il se morfond dans les bureaux de Vichy où il est placardisé depuis que son père, sénateur de la Lozère, a voté contre l'octroi des pleins pouvoirs à Pétain. Il démissionne en juillet 1941 et revient à Marvejols d'où il entre rapidement en clandestinité sous le nom de guerre de "colonel Carrel". Les débuts sont difficiles : la Lozère est un département rural et conservateur où la population mange à sa faim et ne voit guère de raisons de s'opposer au régime de Vichy. Les premiers embryons de maquis sont constitués par des allemands antinazis qui s'installent sur les contreforts de l'Aubrac où les paysans leur fournissent de quoi subsister. Tout change avec l'invasion de la zone libre et les lois sur le travail obligatoire en Allemagne : les jeunes montent alors au maquis par centaines pour échapper au STO. Membre de l'organisation "Combat", "Carrel" fédère progressivement sous son autorité l'ensemble des mouvements de résistance de la région. Fort de la confiance des gaullistes et des communistes, il prend le commandement des FFI pour la région Languedoc-Roussillon. La résistance porte de rudes coups aux nazis remontant vers le nord après le débarquement en Méditerranée et libère Montpellier le 27 août 1944. En cette rude époque, la justice sait fonctionner avec célérité : siégeant à Béziers et Montpellier, les cours martiales FFI prononcent pas moins de 62 condamnations à mort suivies d'exécution immédiate, cela pour la seule première quinzaine de septembre, à l'issue de laquelle ces juridictions d'exception sont dissoutes. Dès l'automne 1944, "Carrel" et ses troupes constituent le 81ème régiment d'infanterie, incorporé dans l'armée régulière commandée par le général de Lattre de Tassigny, qui poursuivra les nazis jusqu'en Bavière et s'illustrera lors de la prise de Radstadt. Courageux patriote, "Carrel" était toutefois peu versé sur la discipline militaire et finira par indisposer de Lattre et même de Gaulle qui voulait le réintégrer dans la diplomatie, cela au point de terminer le conflit aux arrêts de forteresse. Rendu à la vie civile, il est élu député de la Lozère, mandat qu'il occupera pendant 11 ans, laissant le souvenir d'une figure éloquente du parlement dans l'immédiat après-guerre. Proche des communistes sans être membre du parti, il perçoit les dangers de la guerre froide et œuvre pour la préservation des liens d'amitié avec l'URSS et contre la guerre d'Indochine. Celui que ses adversaires n'appellent plus "Carrel', mais le "marquis rouge" n'a de cesse de s'opposer à l'alignement de la France dans le bloc américain ; il vote contre le plan Marshall, l'adhésion à l'OTAN et le traité CECA. Il est en outre maire de Marvejols pendant 24 ans jusqu'en 1983 ; c'est lui qui donnera le départ des 10 premières éditions du Marvejols-Mende. Il décède en 2009 à l'âge de 100 ans dans son château de l'Empéry, situé à la sortie de Marvejols en contrebas de la route de Montrodat juste au début du parcours de la course.

Venons-en enfin à la légende, la vraie, pas celle de l'affreuse bête, celle du Marvejols-Mende, course mythique s'il en est, créée en 1973 par Jean-Claude Moulin, alors jeune kiné à l'hôpital de Mende. 45 ans plus tard, JC Moulin est devenu une figure emblématique de la vie sportive et politique lozérienne, mais il reste encore et toujours la cheville ouvrière et la clé de voûte de cette magnifique compétition, désormais secondé par sa fille Anne, l'une des meilleures coureuses lozériennes. Vice-président du conseil départemental, c'est un élu fidèle à ses convictions et à son parti, ce qui est méritoire en ces temps où l'opportunisme confine parfois à l'indécence.

En 45 éditions, le palmarès est maintenant bien nourri et il fait gloire et honneur aux asphaltiens. Qu'on en juge :

  • Anne Lemouel : 4 participations entre 1983 et 1990, record en 1h40.
  • Dominique Bontoux : 8 participations entre 1983 et 1992, record en 1h27
  • Jean-Michel Objois : 6 participations entre 1988 et 1998, record en 1h28
  • Didier Lobo : 2 participations en 1999 et 2009, record en 1h53...Didier est attendu en 2019 comme à chaque décennie.

Que tous ceux que j'ai oubliés veuillent bien me pardonner et rappeler leurs performances en commentaires à cet article.

Dès le samedi matin, cela "sent la course" dans les rues mendoises, où l'on croise des groupes d'africains en survêtement jetant un œil curieux sur les étals du marché. Le transport aérien s'étant démocratisé, de plus en plus de coureurs n'hésitent pas à se déplacer vers New-York, Valence, Berlin....et bientôt Athènes pour participer aux compétitions renommées. Ici c'est l'inverse : la planète entière vient en Lozère courir une épreuve relativement délaissée par les français mais connue et appréciée sur les hauts plateaux d'Afrique de l'Est. La plaquette de cette année en porte à nouveau témoignage : Algérie, Allemagne, Australie, Belgique, Biélorussie, Bulgarie, Burundi, Chine (province du Guizhou), Côte d'Ivoire, Erythrée, Espagne, Ethiopie (8 participants), Grande-Bretagne, Iran, Kenya (11 participants), Luxembourg, Maroc (9 participants), Moldavie, Ouganda, Pologne, République Tchèque, Roumanie, Russie, Rwanda, Suisse, USA, Ukraine. Pour venir d'aussi loin, il faut être motivé, cela d'autant plus qu'aucune ligne LGV ni aérienne "low cost" ne dessert Mende ou Marvejols. Bon, il y a quand même une autoroute, l'A75, qui a le mérite d'être gratuite pour l'instant ; il y a aussi de sympathiques tortillards déficitaires financés par la région, que l'Etat et la SNCF aimeraient tant remplacer par des autocars, moins sûrs mais surtout moins coûteux......

A 23,04€, le prix de l'inscription reste modeste pour une course aussi renommée et aussi belle, guère plus d 'un € au kilomètre. On ajoutera que des hébergements en dortoir à bas prix sont mis en place pour que les compétiteurs ne se mettent pas sur la paille. Bref, même en comptant large, cela ne doit pas revenir beaucoup plus cher à un parisien de venir faire le Marvejols-Mende que de courir le marathon de Paris. Ici, les organisateurs donnent de leur temps et ne font pas de bénéfice, rien à voir avec les compétitions médiatisées qui enrichissent un groupe bien connu ayant le monopole de la presse sportive quotidienne.

En ce dimanche 23 juillet, la bonne surprise, c'est de constater que les conditions météo sont exceptionnellement favorables : le temps est frais et nuageux sans un poil de vent. Pour être en forme, rien ne vaut un solide petit-déjeuner à Marvejols avec 2 croissants savoureux, ce qui me vaut l'occasion de bavarder avec Aline Camboulives, vice-championne de France de marathon, et de l'encourager dans sa quête du podium après sa 4ème place de l'an dernier.

A 9 h pétantes, les biens dévoués Marcel Merle et Pierre Morel, respectivement maire socialiste de Marvejols et député républicain "constructif" de la Lozère, donnent le départ de la 45ème édition. Sans doute épuisé par un réveil matinal, je décide délibérément de musarder jusqu'au pont des écureuils où figure toujours l'inscription "ici commence l'enfer". Bon, les organisateurs pourraient changer un peu de disque : les 2500 coureurs ne croient pas tous au diable et à l'enfer, ni à toute superstition d'un autre âge....S'ensuit la montée du Goudard où je vais encore moins vite, laissant les gazelles comme les hippopotames me dépasser allègrement, les seuls compétiteurs que je dépasse sont ceux peu nombreux qui ne courent plus. J'arrive à la cime du Goudard sans un brin de fatigue en 56mn pour 8km, soit une minute de plus que l'an dernier. Du coup, je me décide à lâcher les gaz dès la 1ère descente : c'est un régal de rattraper les petits gabarits de 40 ou 50 kg qui me narguaient dans la montée. Je parviens à la baraquette, le point bas du parcours, en un peu moins de 1h15. Après l'enfer du Goudard, se profile la montée de la briquette vers Chabrits ; à défaut d'être le paradis, cette côte se monte tranquillement quand on a la chance comme cette année d'échapper au cagnard. Je ne vois pas grand-monde me dépasser dans cette montée pendant que je double ceux qui ne courent plus, bien plus nombreux que sur le Goudard. Je suis au sommet de Chabrits en1h45, exactement comme l'an dernier, prêt à débouler vers la préfecture lozérienne. Je descends alors comme un "malade" et réussit à nouveau à dépasser pas mal de monde avant d'être saisi par un point de côté à 100m du pont sur le Lot... c'est ballot ! Après le Lot, franchi en 2h02, il reste un dernier km dans Mende qui traditionnellement n'est pas bien terrible pour moi : la caserne, la banque de France, le café de la caille, le palais de justice, la cathédrale et enfin, on tourne à droite sur le foirail où je termine en 2h07'23", 925ème au temps officiel. Le vainqueur africain boucle le parcours en 1h11.

Ça doit faire dans les 35 secondes de moins que l'an passé, avec un temps bien plus clément. A ce rythme, j'en ai encore pour près de 15 ans à passer sous les 2 heures et pour un siècle avant de battre le record du club, et encore à condition qu'il fasse chaque année un peu plus frais que la précédente...

Sur le foirail, un coureur de Sucy en Brie me demande si nous sommes nombreux de l'Asphalte : je lui réponds ingénument que nous sommes certainement plusieurs mais que je n'ai pas encore vu mes camarades.....sans doute arrivés loin devant et partis se doucher depuis belle lurette.

 

Peut-être ai-je été un peu long ?

J'arrête donc ici, car après la course, il y a le repas de la course, avec cette année truffade et confit de canard ; ce serait dommage de passer à côté. Pour éviter de terminer en enfer malgré ma gourmandise, j'essaierai donc de ne pas dîner à la table du diable!

Guillaume Pensier

La bête du Gévaudan

La bête du Gévaudan

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D
Merci Jérôme pour ces pages d'histoire bien intéressantes et ton intérêt pour la Lozère.
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